- Une plage mal fréquentée -

La plage de Costa del Sol offrait toujours a ses habitants une mer magnifique réchauffé par un soeil resplandissant. En cette journée, ces détails semblaient acquis.

Allongée sous un parasol, l'on pouvait voir Dita. Allongée sur le ventre, la tête posée sur le dos de ses mains, croisées sous son menton. La jambe gauche repliée. Le bas du maillot en question rentrait légèrement dans le pli de son fessier. Son magnifique fessier. La femme était rousse, sa peau, bronzée. Comme si elle avait vécu là depuis longtemps. Ses lunettes teintées ne permettaient pas aux hommes intéressés d'admirer jusqu'à la couleur de ses yeux, même si son sourire éclatant et son rire cristallin suffisaient bien à les faire rêver. La jeune n'était pas seule. A côté d'elle, son amie Kristie. Elle était loin d'être laide, mais la beauté de l'autre était tellement inhabituelle que la deuxième femme paraissait terne, à ses côtés. Comme une plaisanterie, presque, un blasphème.

Leur discussion était tout à fait banale, comme à l'accoutumée. Elles se connaissaient depuis plusieurs années, maintenant. Et personne n'avait remarqué que le poids de Dita demeurait inchangé, que ses cheveux ne poussaient pas, qu'elle était toujours propre et soignée. Personne ne s'étonnait de ne jamais l'avoir vue manger ou boire quoi que ce soit. Personne ne l'avait jamais vue se blesser. Personne non plus n'avait jamais vu l'endroit où elle vivait. Je pense qu'ici, une prolèpse est de mise.

Même si sa peau bronzée pourrait laisser croire le contraire, Dita n'est pas issue d'une famille hispanique ou arabe, et Costa del Sol lui est venue bien tard. Au départ, Dita, c'est un arme que la Shinra a créée de ses propres mains. Son évasion date, maintenant.

Les jours passèrent, les mois leur emboitèrent le chemin, jusqu'à ce que les années fissent de même. De longues années. Celles-ci avaient changé l'Héritière du sang étranger. Si à sa création elle ne savait ce qu'étaient les sentiments, elle avait appris avec le temps à les simuler. Faute d'avoir trouvé une personne qui avait éveillé son intérêt, elle s'était résignée, se contentant d'un climait chaud, celui du desert de Corel. Heureusement pour elle, le chaud comme le froid n'étaient choses ayant le moindre impact sur elle.

Les appels s'étaient fait un bon nombre de fois, mais systématiquement, ils s'endormaient presque à la seconde même où Twiggy - le vrai nom de Dita - bougeait. Comme une moquerie. A chaque fois cependant, son instinct la poussait à une recherche perdue d'avance. Une recherche qui avait au moins eu le mérite de la faire bouger. Traverser des continents, des mers - à la nage, évidemment -, elle avait appris à nager sur le " terrain " si j'ose dire, et le monde des humains commençait à prendre forme dans sa tête, progressivement. Arriva le jour où elle en eut marre. Elle se rendit compte que les animaux domestiques étaient courants chez le peuple Terrien. Aussi se changea-t-elle en chat. Un chat tout blanc. Avec des yeux verts. Elle s'arrêta devant une maison quelconque de Costa del Sol, il faisait nuit. Et un miaulement, puis deux, et un troisième. La porte s'ouvrit, la femme s'exclama. Une belle jeune femme. Blonde, des cheveux raides et longs. Jusqu'au nombril, environ. Pas un brin de méfiance, le chat avait trouvé un maître. Et, oui, c'est ainsi que Twiggy allait considérer la chose.

L'amour de la blonde lui était acquis d'emblée, et sans avoir besoin de manifester son contentement pour ceci ou celà, tout lui était donné. La femme en question était une prostituée. Les clients ne venaient pas chez elle, fort heureusement. Chez elles, ses amies venaient. Et c'est ainsi que Twiggy découvrit réellement la nature humaine. La plupart du temps, elle demeurait allongée sur les genoux de Tracy, impassible. Elle écoutait les conversations, se nourrissait de tout ce qu'il y avait à savoir sur les êtres humains. Elle remarqua que les languages étaient différents selon les personnes, en vagabondant chez les voisins, par exemple. Tous ne semblaient pas si ouverts sur le monde, si enclins à la parole. Le côté divers l'attirait. Cela montrait que pour être comme eux, elle n'avait pas à suivre un modèle bien défini. Ah, question que vous vous poserez certainement, Twiggy ne touchait pas à la nourriture qui lui était offerte. Elle s'arrangeait pour la jeter hors de la maison ou en tout cas, pour vider proprement ses gamelles. Elle comprit rapidement que les autres, contrairement à elle, devaient manger pour se maintenir en vie. Geste pathétique que voilà. C'était sans doute le premier sentiment qui lui était venu à l'esprit. Sa notion de la beauté, quand à elle, se référait à toutes ces femmes qu'elle pouvait voir dans les magazines. Elles semblaient différentes et singulières à ses yeux, puisqu'autour d'elle, personne ne paraissait si belle. D'où la rouquine qu'elle avait choisi de devenir.

Un beau jour elle s'echappa de la maison qui était devenue pour elle une prison. Elle avait appris tout ce qu'elle avait besoin de savoir, le monde s'ouvrait à elle. Une résolution, aussi, celle de ne plus écouter les gémissements de sa Mère - d'ailleurs, elle ne savait même pas qui emettait ces signes. Twiggy finit par croire que ça venait d'elle.

Hors de sa maison, le voyage recommençait, en tant que chat, cette fois. Près de Midgar, dans un coin du secteur 7, elle fit la connaissance de Dita. Une petite brune aux cheveux bouclés, plutôt laide, munie de lunettes rondes qui agravaient cette impression d'échec qui était écrite sur son visage? Un échec mêlé à la tristesse, de quoi faire pleurer une top model. En chat, elle venait lui dire bonjour. Et lorsque l'Idiote se cambrait pour la gratifier d'inutiles caresses, le chat resistait. Une autre maison allait lui servir d'hôtel mais ce n'était pas ce qu'elle recherchait. A peine la porte fut-elle fermée derrière elle que la féline devint femme, sous les yeux exhorbités de la pauvre Dita. Elle aura cru se voir dans un miroir Son visage, seulement. Les seins de la copie n'étaient que deux bosses, sans l'ombre d'un mamelon. Au niveau du vagin se trouvait une surface tout à fait lisse. Les genoux, trop géométriques, tout comme les coudes. Dita se mit à crier. Dommage, le réacteur couvrait ses cris. Twiggy inclina sa tête sur le côté. De ses mains elle arracha les vêtements de l'Horrible. Elle regardait chaque déjà, et immédiatement, elle se retrouvait couverte de boutons, des poils venaient ternir la perfection de ses coins fertiles. La voilà munie d'un vagin, maintenant. L'autre se faisait bruyante. Puisqu'elle marchait à l'instinct, elle laissait sa main s'ouvrir et se plaquer violemment sur le cou de l'autre. Ses doigts se serraient. Comme s'ils allaient traverser la peau et arracher les cordes vocales de l'autre. L'autre, dont les pieds nus s'agitaient au-dessus du sol. Twiggy ressemblait à un robot. Elle avait fait ceci un bon nombre de fois, et toujours, elle restait impassible devant un tel spectacle. Quelle étrange sensation que celle de se faire tuer par sa pâle copie ! C'est ce que ressentait Dita.

" Hey, salut, toi. Je m'appelle Dita ! Et toi, comment tu t'appelles ? "

Avant les caresses elle avait jugé que des présentations étaient nécessaires. En chat, elle n'avait rien dit. Là, elle répondait.

" Je m'appelle Dita, moi aussi. "

Son bras s'épaissit à vue d'oeil. Un bras bien trop musclé pour être considéré comme un bras féminin. Les doigts de la sénestre de se tendait. Le bras se rétractait pour mieux se déplacer, vivement. Jusqu'à traverser le ventre de l'Incapable. Le ventre comme la porte en bois, d'ailleurs. Et elle la regardait, elle la fixait. Le sang chaud coulait sur le bras nu de l'Arme. Même si son corps ne lui permettait pas de retranscrire les sensations qu'étaient celles du chaud ou du froid, son corps était lui aussi chaud, de la même chaleur, d'ailleurs. Le Créateur avait bien fait son boulot.

Des minutes, des heures, à la regarder ainsi mourir, perchée, se vidant de son sang. Et puis des cris, au dehors. Une main ensanglantée au travers d'une porte, forcément, c'est étonnant. La main se retira, le cadavre voltigea. Encore un coup d'oeil : le bras redevint la reproduction même de ce qu'elle voyait. Elle s'essaya à reproduire la blessure qu'elle avait engendrée, mais c'était un échec. Seule une partie de sa peau se retirait. Alors, ses aptitudes devaient rester superficielles. Quelqu'un se mit à crier, au dehors. La porte éclata. Des armes braquées sur elle. On lui dit de lever les mains. Ce qu'elle fit. On lui posa des questions, auxquelles elle ne donnait aucune réponse, préférant le mutisme. Deux gardes vêtus de bleu étaient venus. Et tandis que l'un d'eux se pencha sur le cadavre pour tenter de trouver un quelconque pouls, l'autre se vit desarmé et emmener dans une autre pièce, silencieusement.

Le médecin des heures perdues se retrouva seul, lorsqu'il se retourna. Il braqua son arme de poing autour de lui et s'engagea vers la porte entrebaillée, sur sa gauche. C'était une chambre, sûrement. Il marchait doucement. Ne pas faire de bruit. Les mains tremblaient. Attention, l'ennemi peut se montrer à tout moment. Ce fut son ami qui ouvrit la porte. Un sourire aux lèvres. Le jeunot manqua de tirer. La tueuse le rassura.

" Ne t'en fais pas, j'ai fait ce qu'il y avait à faire. "

" Hein ? "

L'arme regagnait le holster, il se mit à courir dans la chambre. Et le corps, à ses côtés. C'était celui de l'autre membre du SOLDAT. Sa nuque arborait un angle étrange. Il ne comprenait pas. Il n'eut pas le temps de comprendre. Twiggy sortit une autre arme. Plaquée sur la tempe. Une seule balle. La tête explosa. Du sang partout, surtout les murs. Du sang partout, sur le visage, sur les vêtements. Mais elle ne voyait pas le mal à ça.

Malheureusement, quand elle quitta la demeure, un grand sourire aux lèvres et qu'elle assura à la troupe qui s'était assemblée...

" Ne vous en faites pas, tout va bien. "

... la crédibilité était tout à fait inexistante. D'autres cris encore, plus qu'elle ne pouvait supporter. Alors elle redevint impassible et sauta dans le tas. Peut-être que son instinct destructeur était inscrit dans ses gênes, peut-être que Nowakowsi l'avait insufflé en elle. Inoculation ou pas, le résultat était bien là. C'était comme si son corps et sa tête pensaient différemment. Elle se laissait juste aller, et les autres mouraient pitoyablement. Un sol jonché de corps morts. Du sang partout sur Twiggy. Elle fit le tour des maisons pour récupérer certains vêtements. Un magazine pornographique lui avait montré cette belle rousse, nue, allongée devant une voiture. Une série de photo s'en suivait. Chaque détail était à elle. La voilà mannequin.

" Dita. Dita. "

Des murmures, comme si elle devait se persuader elle même de quelque chose.

" Dita. "

Un sourire jusqu'aux oreilles. Des vêtements provoquants, à savoir une jupe courte et un simple soutien-gorge. Une autre femme allait bientôt l'inspirer quant à son style vestimentaire. La pauvre subit le larcin habile de Twiggy, avant de finir assommée par terre. Le talon haut de l'Incarnée s'assura du dernier voyage de l'Imprudente en pénétrant l'orbite de son oeil, explosant celui-ci au passage. Elle reprit sa marche. Un déhanché irréprochable, elle se mit à reproduire certaines expressions, sur son visage. Son premier sourire était abusé, mais elle apprendrait. C'est ainsi que Twiggy revint à Costa del Sol.

Une vie normale l'y attendait, et l'apprentissage de l'être humain allait s'y faire progressivement.

Alors qu'elle avait décider de rompre tout lien avec la voix qui criait dans sa tête, une autre l'avait rejointe. Ils étaient deux, maintenant. Son rire s'estompa, elle se redressa vivement. Secouant sa tête dans tous les sens. Son amie s'inquiéta et s'affola : un bras disproportionné s'écrasa sur son front. Les jambes de Twiggy suivirent le rythme de son bras, et elle se mit à courir incroyablement vite. Pas assez à son goût pourtant, aussi devint-elle Aigle. Direction North Corel pour des vêtements neufs et des armes. Quant à la suite... Qui vivra verra.

» ~~~~~~ La Plage ~~~~~~